Sur l’épaule du Lingas, les hêtres à demi dénudés tendent leurs racines inversées vers le ciel, comme des doigts d’argent qui imploreraient la clémence des dieux après tant de larmes. L’océan lumineux abrite encore quelques nuages, mais ces vastes navires semblent à présent apaisés et leurs corps dédoublés par les eaux encadrent sereinement l’horizon. Je marche sur une sente anonyme. L’éclat crépusculaire s’épuise et Mars rutile entre les branches barbelées des sapins. Quelques renards discutent dans le noir avant de laisser croître le silence qu’un lointain ruissellement accentue. À l’approche de la lande fanée, le couvert arboré se déchire et dévoile des attroupements étoilés encore trop pauvres pour être qualifiés de constellations, mais déjà suffisants pour encourager la recherche de paysages connus. La nuit s’impose et je me promène en quête de scènes à mémoriser. Là, un fragment de Cassiopée effleure l’arc de Persée. Plus loin, derrière un sorbier constellé de billes d’un rouge oublié, une averse scintillante rebondit sur le miroir du lac. Derrière moi, dans l’obscurité de la hêtraie, un grand cerf s’avance dont le brame soudain fera battre mon cœur à la folie plus tard dans la nuit. Les heures passent, le froid de l’espace tombe sur la terre, enveloppant chaque feuille morte d’un épais manteau de givre. À l’aube, un crépitement soyeux m’accompagne alors que j’avance vers le diamant vénusien nimbé de lumière zodiacale.
FUITE DU TEMPS
Une longue nuit d’automne dans les Cévennes, du crépuscule à l‘aube et de Mars à Vénus, avec quelques avions, une poignée d’étoiles filantes, un bolide éblouissant, le collier de perles des satellites géostationnaires et le panache lancéolé de la lumière zodiacale !
Pensez à monter le son ou mettez un casque pour vous immerger dans l’ambiance de cette nuit d’automne dont le silence fut rompu à plusieurs reprises par des renards, des chouettes et des cerfs.
Cette vidéo accélérée (time-lapse) résume la nuit du 17 au 18 octobre 2020 en moins de trois minutes. Réalisée sur la berge du lac des Pises (Réserve internationale de ciel étoilé du parc national des Cévennes), elle débute lors du crépuscule nautique, près d’une heure après le coucher du Soleil, et s’achève durant l’aube. Le vent étant pratiquement absent cette nuit-là, j’ai voulu partager le plaisir visuel offert par ce miroir naturel, d’où le cadrage inhabituel choisi pour mettre en valeur cette symétrie hypnotique.
L’astre le plus brillant visible en début de vidéo est la planète Mars. Remarquez, sur la moitié droite du ciel, la ceinture des satellites géostationnaires dont certains membres réfléchissent l’éclat solaire après la fin du crépuscule. Les Pléiades, Aldébaran du Taureau et les Hyades, Orion et sa nébuleuse, l’amas de la Crèche et le Lion se succèdent à l’est avant la montée en puissance de la lumière zodiacale et l’arrivée de Vénus dont l’éclat intense éveille le paysage. Plusieurs étoiles filantes sont visibles au fil des heures et un brillant bolide laisse sa trace sur le lac à 1:46 ; quelques avions creusent également de longs sillons lumineux dans la nuit.
Il y a 2 245 images en tout, prises avec un boîtier Sony A7s et un objectif Nikon 14-24 mm à 14 mm diaphragmé à 3. Chaque image a été exposée durant 15 secondes avec une sensibilité de 4 000 ISO.
L’humidité étant importante au bord du lac, une résistance chauffante placé autour de l’objectif a permis d’éviter le dépôt de buée sur la lentille frontale.
La bande-son rappelle l’ambiance de cette nuit où les longues périodes de silence étaient brusquement interrompues par des cris de renards, de cerfs et de chouettes. Les éléments sonores ont été enregistrés sur place par moi-même avec des compléments de Fernand Deroussen issus de la Sonothèque du Muséum national d’histoire naturelle.
Impossible de réussir un time-lapse d’une nuit entière au bord d’un lac par une nuit automnale humide sans une résistance chauffante pour protéger la lentille frontale de l’objectif de la buée ou du givre et un « manteau » pour protéger le boîtier ! J’avais heureusement prévu deux batteries pour l’alimenter efficacement durant près de onze heures. Il y avait également deux batteries pour alimenter le boîtier, mais une seule à suffit pour les 2 245 images.
PROMENADE NOCTURNE AUTOUR DE L’OBSERVATOIRE DES PISES
En montant vers la source de l’observatoire, derrière la coupole, le sentier s’enfonce sous le couvert des hêtres et de la Voie lactée ; au ras du col, Saturne et Jupiter préparent leur coucher.
Un fragment de Cassiopée, le double amas et l’arc de Persée, la nébuleuse Californie, les Pléiades et Aldébaran qui se baigne dans le lac avec les Hyades.
Au cœur de la nuit, Mars, les Pléiades et la galaxie d’Andromède tracent un vaste triangle au-dessus du grand hêtre de l’observatoire. Le double amas de Persée s’invite en haut à droite du champ et la galaxie du Triangle brille à la même hauteur que celle d’Andromède, pratiquement au centre de l’image. En ce début d’automne, un autre élément astronomique s’invite dans le champ, juste à côté de l’éclat martien orangé : le gegenschein. Cette petite zone diffuse plus lumineuse que le fond du ciel signale la portion de la bande de lumière zodiacale située exactement à l’opposé du Soleil sur la sphère céleste. Le gegenschein n’est visible et ne peut être photographié que dans un ciel sombre de très bonne qualité et la meilleure période de l’année pour le repérer à nos latitudes est l’automne, lorsqu’il traverse la constellation des Poissons. Cette année, la planète Mars juste après son passage à l’opposition lui sert de feu de signalement.
Panorama céleste depuis la berge du lac. Mars rayonne sur la lande givrée, encadrée par Sirius, Orion, les Pléiades, Persée, Cassiopée et les galaxies d’Andromède et du Triangle. La petite zone plus claire du gegenschein est perceptible juste au-dessus de la planète rouge. Au bord de l’eau, deux diodes colorées signalent le boîtier en train d’accumuler les images du time-lapse.
Sur le time-lapse, la pointe de la lumière zodiacale apparaît peu après la sortie du champ de l’amas de la Crèche (vers 2:00) et son éclat apparent monte en puissance jusqu’à l’aube. Cette image a été prise une dizaine de minutes avant l’aube et le fuseau de la lumière zodiacale est bien visible jusqu’à l’amas de la Crèche ; Vénus se cache encore derrière le plus haut sapin.
Vingt minutes plus tard, alors que l’aube éveille lentement l’horizon, Vénus brille triomphalement au sein de la lumière zodiacale dont le fuseau sort du champ et se réfléchit faiblement sur le lac.
Au début du crépuscule nautique, dans un ciel déjà vivement coloré, la lumière zodiacale est de plus en plus délicate à saisir, mais l’ambiance visuelle est merveilleuse. Le paysage autour de moi est couvert de givre et les cris d’une hulotte appellent le jour.
Merci de continuer à soutenir mon travail en cette fin d’année toujours aussi perturbante/bée !
La nouvelle édition du Ciel à l’œil nu – la dix-neuvième ! –, présente plusieurs dizaines de rendez-vous entre les planètes et la Lune visibles de janvier à décembre 2021 et elle est illustrée d’images de paysages célestes réalisées par Jean-François Graffand, Adrien Mauduit, Maxime Oudoux et moi-même. Elle me permet en outre de partager avec vous douze nouveaux textes rédigés au fil des mois lors de mes randonnées sous le ciel étoilé. Ah oui ! il y a aussi plus d’une douzaine de nouveaux encadrés pratiques et encyclopédiques pour vous aider à observer et à photographier le ciel tout au long de l’année !
Si vous ne connaissez pas encore mon Calendrier astronomique, découvrez-le et profitez toute l’année de son très grand format – 35 x 58 cm ouvert – pour garder un œil sur le ciel et les phénomènes célestes à venir. J’ai proposé à plusieurs des meilleurs astrophotographes français de paysages nocturnes de participer à cette édition et c’est l’occasion pour vous de découvrir le superbe travail de Philippe Jacquot, de Jean-François Graffand, d’Adrien Mauduit et de Maxime Oudoux. J’ai également intégré la remarquable carte de la pollution lumineuse réalisée par Frédéric Tapissier, qui vous permettra de choisir vos prochains sites d’observation, sur laquelle j’ai tracé les limites des trois Réserves internationales de ciel étoilé que compte à présent la France.
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Depuis que j’ai créé le blog Autour du Ciel sur lemonde.fr (janvier 2014), je mets en ligne régulièrement un billet de présentation des principaux rendez-vous astronomiques visibles à l’œil nu ou avec du petit matériel.
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