Le 23 mars dernier, non loin de la source de la Dourbie (parc national des Cévennes), la Voie lactée rendait hommage à la lumière zodiacale à la fin du crépuscule. C’était ma première nuit sous les étoiles depuis plusieurs semaines, mais, malgré sa splendeur, elle ne m’a pas apaisé. Technique : mosaïque de 14 champs, boîtier Sony A7III défiltré, objectif Sony GM de 14 mm diaphragmé à 3,5, 40 secondes de pose par champ (5 x 8 secondes), 2 000 ISO.
© Guillaume Cannat
TURBULENCE
C’était un soir éprouvant, un soir où la contemplation du ciel s’était imposée comme une nécessité. Le froid naissant des prémices de l’hiver emplissait l’air d’odeurs sèches. Il n’avait pas encore cette senteur si particulière, délicatement métallique, des soirs de neige, mais il avait déjà perdu un peu de son épaisseur, un peu de ces notes grasses que lui octroie l’automne avec ses fermentations humides. Sur la voûte orientale, Jupiter attirait l’œil vagabond vers les Gémeaux et Bételgeuse se hissait péniblement derrière les silhouettes étiques de quelques peupliers. Du sud-est au sud-ouest, c’était le grand désert des constellations aquatiques – Baleine, Verseau, Poisson austral – enlisées dans les glaires lumineuses de la ville voisine. À l’Occident, déserté plus tôt par le croissant d’une jeune Lune, le Triangle d’été rechignait à quitter la place.
L’obscurité relative était à peine dérangée par de rares rafales, pourtant un vent furieux devait froisser l’atmosphère en altitude car tout le ciel semblait frémir et onduler. La sensation était pour le moins étrange. Je croyais voir l’ample respiration d’un gigantesque animal cosmique tatoué d’astres scintillants. J’étais fasciné par cette turbulence si énorme qu’elle faisait ondoyer l’épaisseur nocturne comme la croûte d’un sombre océan à l’approche d’une tempête. L’éclat de Jupiter, massif, imposant, vénérable phare planétaire aux yeux des observateurs, tressautait, lui aussi, témoignant de la violence des coups de boutoir éoliens qui martyrisaient l’atmosphère. Comme un marin aurait hésité à quitter l’abri du port pour voguer sur une mer incertaine, je n’osais, moi aussi, ôter la bâche de mon télescope, craignant trop le magma turbulent que m’offriraient ces astres ballottés. Je contemplais donc, inquiet et immobile, sans aucune aide optique, les mouvements erratiques de l’océan de la nuit.
Le bras d’Orion s’était enfin dégagé des branches dénudées et brandissait sa massue vers les gemmes des Pléiades jetées à même le ciel. Non loin, Saturne, éclat de topaze aux reflets prometteurs, scintillait de concert avec Aldébaran. Sans même la voir au télescope, je savais la courbe parfaite de sa taille ceinte d’anneaux et auréolée de diamants précieux, mais je savais également que rien de cela ne me serait offert cette nuit. Alors je respirais plus profondément, enfonçais mes mains dans mes poches et frissonnais en rentrant, laissant le ciel à son tumulte, plus troublé que je ne voulais l’admettre par ces minutes qui ne m’avaient pas apporté l’apaisement escompté.
Extrait de mon livre Carnets de nuits
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